La tentation de Saint Antoine – Chapitre 3
[Roman] Paul, en quête d’un équilibre dans sa nouvelle réalité, fait la rencontre surprenante de Richard, un ancien chirurgien devenu vagabond.
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La tentation de Saint Antoine
CHAPITRE 3
Paul, en quête d’un équilibre dans sa nouvelle réalité, fait la rencontre surprenante de Richard, un ancien chirurgien devenu vagabond. Leur échange, empreint de philosophie et d’humanité, éclaire Paul sur la richesse du moment présent. Mais d’autres questions émergent lorsqu’il découvre, avec l’aide de Marie, la signification de l’ouverture de son troisième œil et les mystères entourant cette transformation. Une soirée marquée par des souvenirs troublants refait surface, semant des indices sur ce qui pourrait être à l’origine de son changement.
Je me promenai jusqu’au pont suivant, en marchant tout près du bord. L’haleine du fleuve était fraîche, revigorante. L’arcade supportant le pont était à quelques mètres de moi quand j’y décelai du mouvement, et je découvris mon premier “ clochard ”. Ce fut un choc. Un grand carton lui servait sûrement de lit, car une couverture en dépassait. L’homme était assis dos au mur de pierres et lisait un livre. A sa gauche, rangés proprement sur la tranche, se trouvaient d’autres ouvrages. Pour les soutenir, il avait posé contre eux une bouteille pleine d’un liquide ambré. Il était habillé de façon très hétéroclite mais semblait propre. Mû par je ne sais quel idée, je m’approchai de lui. Il leva la tête et m’observa avec attention avant de m’inviter à m’assoir.
Ce spécimen humain n’était pas comme les autres, et à ce titre il m’intéressait. Moi aussi, j’étais différent. Ce serait enrichissant de savoir pourquoi il avait échu là.
— Vous avez un air un peu hagard, attaqua-t-il le premier. Il vous est arrivé quelque chose et vous n’arrivez pas à savoir quoi.
Sa perspicacité me dérouta.
— Je m’appelle Richard, fit-il en me tendant la main.
Je la saisi et la serrai avec chaleur.
— Paul.
—Vous sentez l’essence de térébenthine, et vous avez de la peinture sur les doigts. Vous êtes peintre ?
— Oui en effet.
—Alors cela explique votre air absent. Les artistes ne font pas parti de notre monde vous savez. Ils ont des sens que nous n’avons pas. Cela explique votre attitude un peu décalée.
— Ah! Vous avez raison, je me sens décalé. Mais je ne crois pas que la peinture y soit pour quelque chose, je pense plutôt qu’elle me guérit.
— Vous paraissez pourtant en pleine forme.
— C’est là que se situe le problème, répondis-je, en posant l’index sur mon front. J’ai
perdu une partie de ma mémoire.
— Alors vous mettez sur la toile ce que vous pensez être votre vérité oubliée ?
— Vous m’étonnez, car c’est exactement ça. Avez-vous un don ?
— Non, mais je me suis intéressé à la psychologie durant mes études, avant de bifurquer vers la chirurgie.
—Vous êtes chirurgien ? Et tout ça alors ! J’englobai dans un grand geste étonné le pont, le carton, les livres.
En réponse il me montra simplement ses deux mains, agitées d’un léger tremblement.
—J’ai voulu me détruire en me plongeant dans l’alcool. Et me voilà ici.
—Vous détruire ?
Ce mot me heurta.
— Comment en arriver à vouloir s’annihiler ? C’est un grand manquement à l’ordre des choses !
— Parce que la vie peut-être cruelle. Vous ne le savez pas ?
— Euh…
L’homme se mit à rire.
—Vous alors ! On dirait que vous venez juste de vous éveiller.
Il pencha son buste vers moi et me regarda dans les yeux avec une concentration aigüe.
—Ma foi, j’ai l’impression que j’ai raison. Remarquez, si vous avez oublié toutes les laideurs de ce monde, vous ne pourrez que mieux vous en porter. Moi, c’est à cause d’une femme que ma vie a basculé. Une beauté en qui j’ai cru… à qui j’avais tout offert et qui est parti du jour au lendemain pour un autre. J’ai commencé à perdre pied et ma dextérité, légendaire, dans le petit monde des chirurgiens m’a fait faux-bond. Et un jour…
Mon compagnon se passa une main sur le visage comme pour effacer l’ombre de sa culpabilité.
—Vous avez perdu un patient, devinai-je.
— Failli seulement, sinon je ne serai pas là pour vous raconter mon histoire, le remord m’aurait tué. C’est ce soir-là que j’ai commencé à boire. Un peu au début, et puis un peu plus… enfin l’engrenage habituel. J’ai quitté la clinique avant d’être obligé de démissionner. Je suis resté quelques temps dans ma maison, en vendant peu à peu mes objets de valeur pour survivre. Et puis un soir, désoeuvré et las, je suis arrivé jusqu’ici à pied, il y avait des gens, comme moi, saouls, avec cette gaieté factice qui accompagne l’ivresse. Ils étaient réunis autour d’un gros bidon qui leur servait de foyer. De grosse flammes s’en échappaient et j’ai trouvé cette vision réconfortante. Je suis resté. Ces gens, ils étaient la seule compagnie que je supportais. Cela fait deux ans maintenant, comme le temps file entre nos doigts…. Ces compagnons d’infortune ont disparu peu à peu, de maladie, de vieillesse, dans des rixes. J’ai fini par me retrouver seul dans cet endroit. Parfois j’ai des visites, ceux qui sont partis s’installer dans d’autres recoins mal famés. Mais lorsqu’ils débarquent ici, c’est souvent parce qu’ils ont un petit bobo à soigner. Paradoxalement nous nous estimons libres, affranchis, hors du système, alors que nous dépendons de la générosité de quelques-uns pour manger. Alors au fond, je ne sais pas si on est jamais vraiment libre.
Je pouvais comprendre son désarroi, son envie de vivre hors d’un milieu qui l’aurait jugé. Sa tristesse se lisait dans son regard éteint. Mais il y avait encore du bon dans cette âme affligée.
— Excusez-moi, fit-il avant de s’emparer de la bouteille appuyée sur sa pile de livres, juste une goutte.
Il but à même le goulot mais, d’après ce que j’en vis, n’avala qu’une rasade modérée.
—Ce grand carton, c’est votre maison ?
- Oui. L’autre… il fit un geste vague sur le côté droit, ce n’est plus qu’une coquille vide à présent. J’ai perdu ma dignité, je dépends de la générosité des autres pour manger. Mais si j’arrive à m’extirper de ce cycle pernicieux, cela aura été une sacrée expérience.
—Vous voyez, il y a encore de bonnes personnes.
—Oui, mais elles sont rares
—C’est possible, mais elles sont là, insistai-je. Un jour, ce sont elles qui auront sans
doute besoin de vous. L’univers tourne, à un moment donné, il peut y avoir de nouveaux commencements.
—De nouveaux commencements… Si c’était possible… Après tout, vous n’êtes pas si loin de ce que je lis en ce moment.
—Racontez-moi.
— Oh ! Cet ouvrage et les autres, là, traitent d’une nouvelle façon de vivre, plus proche de la nature, ou plus spirituelle.
Il souleva le recueil mis de côté lorsqu’il m’avait invité à m’asseoir. Il y avait un marque-page dépassant de l’endroit où je l’avais interrompu.
—L’auteur parle de l’importance du moment présent. Profiter pleinement de l’ici et maintenant en permanence, se laisser flotter dans ce temps unique. S’y ressourcer. C’est une lecture intéressante et inhabituelle pour moi. J’apprends. J’avais oublié combien c’est enrichissant d’apprendre. Vous voyez, avant que vous n’arriviez, je prenais grand plaisir à lire, et maintenant, ce moment où nous parlons, et bien j’en savoure chaque seconde. À votre départ il m’en restera quelque chose. Nous aurons prononcé des paroles, elles auront une saveur qui perdurera. Ces instant précis, il existent, ils prennent corps, parce que nous leur accordons l’importance auxquels ils ont droit.
—Comme un être vivant ?
—Tout à fait.Vous m’avez compris.
J’allai lui demander de me montrer les autres volumes, lorsque trois personnes que je n’avais pas entendu arriver se postèrent près de nous. Il y avait deux hommes et une femme.
—Salut Richard, fit le plus grand. Te voilà en belle compagnie !
Je me levai et mon compagnon fit de même.
—Je vous présente Paul. Nous bavardions. Qu’est-ce qui vous amène.
—Dhélia s’est blessée. Regarde ça !
Pendant que la femme remontait sa robe au-dessus du genoux, je les observais tous les trois. Des clochards eux aussi. L’homme ayant parlé portait de longs cheveux blancs, attachés à la diable sur sa nuque. Il était vêtu d’un costume marron épais, tout déformé, et d'un pull en laine jaune au col effiloché. Son visage buriné était mangé par une barbe désordonnée. Cependant, il dégageait une certaine autorité.
L’autre était plus jeune. Il avait des cheveux coupés courts, des anneaux aux oreilles et sur l’arcade sourcilière. Il portait un jean rapiécé, une chemise à carreaux rouges à manches longues. Une grosse écharpe noire était nouée à son cou. Son visage aurait été avenant s’il n’avait pas affiché un air de colère rentrée. Il tenait un sac en plastique dans lequel j’entendais s’entrechoquer des bouteilles.
Quant à Dhélia, il m’était impossible de lui donner un âge. Elle avait dû être jolie, car ses traits étaient fins, mais sa peau était marquée de taches, ses yeux étaient bouffis et le reste de sa personne très négligé. Durant le temps où j’étudiais ces trois personnages, Richard avait commencé à palper la blessure, s’étalant en zigzag sur la cuisse de la femme. Elle poussa un cri de douleur.
—Ce n’est pas très beau, fit Richard. Comment tu t’es fait ça ?
—En passant une clôture en fil de fer barbelés. Il y avait des orangers derrière. Justin retenait les fils pendant que je passais, mais ma robe s’est accrochée et j’ai trébuché.
—Je crois bien qu’un morceau de fer rouillé est resté à l’intérieur des chairs. Je vais te nettoyer ça, j’y verrai un peu mieux, tu as beaucoup saigné.
Il se dirigea vers son carton, s’accroupit afin d’y pénétrer et ressortit avec une bouteille d’eau, une petite boite en plastique et un carré de chiffon blanc et propre. Il mouilla le linge, retira un bout de savon de la boîte et entreprit d’assainir la blessure, sans toutefois appuyer trop fort. Je regardai ses mains. Elles agissaient avec une précision et une légèreté héritées de la pratique de son métier. Et il ne tremblait plus.
—C’est une longue et profonde estafilade. Le fer rouillé c’est dangereux. Tu aurais besoin d’un sérum antitétanique, et de quelques points de suture. Vous devriez aller à la Croix-rouge, ils vous feront un bon pour les urgences.
— Mais, grogna le jeune homme, on avait d’autres projets, regarde ce qu’on a avec nous: du bon whisky, du rhum et des oranges.
Richard les dévisagea.
—Faites comme bon vous semble. Je vous ai juste donné mon avis.
—Le tétanos, c’est grave ? S’enquit Dhélia.
—On en meurt, oui.
—Ah !
Il y eut quelques secondes de silence. Puis le jeune homme voulut prendre les choses en main.
—On va boire un coup, et ensuite on va à la Croix rouge. Moi j’ai soif.
C’est alors que Dhélia lui assena une gifle retentissante. Je me demandai ce qui allait se passer ensuite, inquiet malgré tout.
—Thomas, je suis encore ta mère, tu vas me conduire là où on te dit. Une lichette de whisky chacun et on y va.
Quelques minutes plus tard le trio s’éloignait. La nuit était en train de tomber, je devais rentrer également ou Marie allait s’inquiéter.
Je serrai la main de Richard.
—Revenez me voir.
—Oui c’est promis. Cela m’a fait beaucoup de bien de parler avec vous.
—C’est réciproque.
Et je le quittai à mon tour. Lorsque j’arrivai en haut des escaliers, je me retournai. Il avait allumé quelques bougies et avait recommencé sa lecture.
Je n’étais sorti que deux heures, mais elles avaient été riches d’évènements divers.
Lorsque je passai la porte de la cuisine Marie était en plein préparatif du repas et les enfants finissaient leurs devoirs dans leurs chambres. Une bonne odeur flottait dans l’air. Comme elle me tournait le dos j’enveloppai sa taille de mes bras et j’embrassai le haut de son crâne.
—Je commençais à m’inquiéter me dit-elle sans se retourner, occupée à empêcher l’omelette de roussir.
—J’ai des choses à te raconter.
—Ah ? Merveilleux, dis-moi, fit-elle, enthousiaste comme une enfant.
Je m’assis sur la table de la cuisine tandis qu’elle éteignait la plaque. Je pensai à ce qu’avait dit Richard. L’instant présent, ici et maintenant. Oui, c’était bien cela. Ce moment dans la cuisine, baigné par de bonnes odeurs, face à celle jolie femme attendant avec patience mes explications, recelait une richesse de sentiments et d’harmonie qui ne devait pas être oubliée. Une friandise à savourer en conscience.
Un instant de vie vivant, comme l’avait dit mon compagnon du soir.
Je ne savais par où commencer la narration de cette journée ponctuée de péripéties insolites. La plus extraordinaire étant la découverte d’une vision nouvelle, je débutai par ça.
—Je voudrais savoir s’il t’arrive de voir, euh… comment dire, enfin…parfois as-tu
l’impression de voir plus que ce que tes yeux te montrent. Comme… des apparences
qui ne seraient dévoilées que par une perception de l’oeil plus accentuée.
—Tu m’expliques un phénomène que tu as vécu aujourd’hui ? Ou c’est simplement une question.
—Je l’ai vécu aujourd’hui, en peignant. C’est arrivé lorsque j’étais très concentré sur mon travail.
Je savais que Marie était ouverte à ce genre de choses, mais son silence sembla plus lourd qu’à l’accoutumée. Avais-je posé cette question prématurément ? Je me demandai soudainement si une part d’elle-même avait du mal à accepter ma nouvelle réalité, ou si elle s’interrogeait sur ma santé mentale. Elle ne disait rien, mais je sentais que quelque chose la préoccupait. Et puis son front se décrispa et elle avança la main vers mon visage.
—Par hasard, ce ne serait pas là, l’endroit où tu as ressenti s’ouvrir cette nouvelle vision ?
Et elle posa son index sur un point au milieu de mon front, là où ce phénomène avait pris naissance. Un léger chatouillement d’ailleurs y persistait.
—Oui, c’est cela. C’est normal ? Commun ?
—Non pas du tout, c’est même exceptionnel pour une personne comme toi, qui n’a
jamais pratiqué ni méditation, ni yoga, ni aucune forme de pensée spirituelle.
Le nouveau Paul avait donc acquis une faculté supplémentaire.
—Tu peux m’expliquer ?
—Ton troisième oeil s’est ouvert. Tu as donc une seconde vue te permettant de voir au-delà du réel, ce que le commun des mortels ne perçoit pas. L’être humain ne distingue qu’une toute petite partie du spectre lumineux. Désormais tu as une vision plus étendue, tu peux voir au-delà du visible, à condition que tu saches utiliser avec discernement ce pouvoir.
—Ah ! Je comprends.
Cela pouvait expliquer le monde inconnu que j’avais commencé à peindre. Et aussi cette femme, nimbée de rouge. Je n’avais pas rêvé les vrilles sur son front non plus.
—Tu sais, il y a un certain danger à ne pas maîtriser l’ouverture de cet oeil. Des personnes non préparées peuvent sombrer dans la folie. Cela m’angoisse un peu, tu es vraiment un néophyte dans ce domaine.
C’était donc cela la cause de son trouble, elle s’inquiétait pour moi. Je répliquais aussitôt:
—Ce ne sera pas mon cas, je te l’assure, j’ai parfaitement maitrisé ce nouvel outil. Me trouves-tu différent ?
Ses yeux restèrent ancrés dans les miens, attentifs. Elle me soutenait dans cette transformation, c’était certain, mais je ne pouvais m’empêcher de me demander à quel point tout cela la troublait.
— Non, bien sûr que non, répondit-elle. Je suis un peu envieuse peut-être. Malgré mes différentes explorations spirituelles, cela ne m’est pas encore arrivé. C’est vraiment exceptionnel. Mais si tu en es là, il faut absolument que je t’expliques quels sont nos points d’ancrage, la fonction des chakras. Je ne peux pas te laisser errer dans cette dimension remarquable sans que tu sois un peu armé.
J’allais lui parler de la femme arrêtée par les policiers quand les enfants firent irruption dans la cuisine. Ils riaient en se chamaillant. Et ils avaient faim. Cela attendrait, ainsi que la rencontre avec Richard.
Plus tard, en rentrant dans notre chambre, je vis une pile de livres et de revues sur ma table de nuit. Je les éparpillai sur le couvre-lit et me déshabillai. Marie avait pris le temps de choisir les meilleurs ouvrages parmi ses lectures, concernant le monde sacré de la spiritualité, de l’immatériel, des voyages astraux.
—Quand je pense que tu te moquais de moi il n’y a pas si longtemps, me taquina-t-elle, lorsqu’elle sortit de la salle de bain. Viens, asseyons-nous sur le tapis.
—Mais, nous sommes nus !
—Et alors ? Tu as peur de t’exhiber devant moi ?
—Non, mais, euh. Cela pourrait déclencher…
— Ah, une réaction en chaîne qui se terminerait de façon torride ?
Elle éclata de rire.
—Mais non, ton esprit va être occupé à travailler sur autre chose. Ce que je vais t’expliquer est très important, il faut que tu sois réceptif.
Nous nous installâmes face à face en position du lotus. Ma posture n’était pas aussi gracieuse que la sienne, mais je tenais sans peine mon assise. Elle étala entre nous sept feutres de différentes couleurs.
—Les chakras, commença-t-elle, sont des centres de lumière et d’énergie qui ponctuent notre corps, depuis le bas de notre colonne vertébrale, jusqu’au sommet de notre crâne, et ils ont chacun une fonction, et une couleur. Chaque chakra est une porte d’entrée vers un aspect particulier de notre être, qu’il soit physique, émotionnel, mental ou spirituel. En commençant par le bas, le rouge, puis l’orange, le jaune, le vert, le bleu, le violet, celui du troisième oeil, et le blanc ou chakra coronal, au sommet de notre crâne. C’est ainsi que nous sommes reliés à la fois à la terre et au ciel. Ces centres sont des vortex d’énergie qui régulent notre santé et notre bien-être, mais nous connectent aussi à des dimensions plus subtiles.
Au fur et à meure de ses explications, ou la fonction de chaque chakra était développée avec minutie, elle avait dessiné sur mon corps des cercles de la couleur correspondante, là où se trouvaient ces roues d’énergie. Le chakra racine, rouge, ancre notre être à la terre et est lié à notre survie et à notre instinct. Le chakra sacré, orange, régit nos émotions, notre créativité et notre sexualité. Le plexus solaire, jaune, est le centre de notre volonté et de notre pouvoir personnel. Le chakra du cœur, vert, est la source de notre amour et de notre compassion. Le chakra de la gorge, bleu, exprime notre vérité et notre communication. Le chakra du troisième œil, violet, est le siège de notre intuition et de notre perception. Enfin, le chakra coronal, blanc, au sommet de notre crâne, nous connecte à l’univers, à notre spiritualité.
—Ce sont les couleurs de l’arc-en-ciel, remarquai-je.
—Oui, et dans l’ordre exact. Elles sont le reflet des différentes longueurs d’onde de la
lumière, les énergies associées à chaque chakra, leurs différentes dispositions à des types de vibrations bien spécifiques. Ces points sacrés symbolisent la richesse de la vie en ce qu’elle rayonne dans de multiples dimensions. Chaque chakra vibre à une fréquence particulière et influence directement notre corps physique et nos états émotionnels. Lorsque ces chakras sont alignés et en harmonie, ils permettent à l'énergie de circuler librement à travers nous, mais s'ils sont bloqués ou déséquilibrés, cela peut causer des troubles physiques ou psychiques.
— Tu as parlé de vibrations. Comme celles du tambour ?
—Oui, mais elles peuvent avoir d’autres origines: de la musique, des mantras, de la nature, ou même des émotions que nous ressentons. Chacune de ces vibrations peut influencer un chakra spécifique. Certaines fréquences du tambour pourraient avoir résonné avec ton chakra racine, tandis que d’autres, puisque les variations étaient nombreuses, peuvent avoir toucher ton chakra coronal.
—Si notre corps est si sensible à ces fréquences, pourquoi cela n’a pas affecté les autres personnes.
—La sensibilité est différente d’un individu à l’autre. La jeune femme qui a vomi n’a pas été frappée de la même façon. Nous avons tous eu des réactions variables. Cela dépend de nos états énergétiques au moment précis, et même de nos ouvertures à ces expériences.
— Pourtant j’étais rébarbatif…
—Mais la surprise a pu faire baisser tes blocages.
—En fait, tout ce qui m’arrive découle de cette soirée, n’est-ce-pas ? J’aimerais que tu me détailles le déroulement des évènements.
—Oui, on peut parfaitement affirmer que tout a changé pour toi depuis cette soirée. Lorsque j’ai reçu l’invitation à y participer j’ai été intriguée par ce que nous proposait Aléna. Une séance avec elle, comme j’en ai fait des dizaines, suivie par une expérience unique, à partir d’un tambour d’une conception novatrice. Des vibrations, mais à la limite de l’audible, fabriqué par une femme suédoise, je crois.
—Tu as vu le tambour toi ?
—Non. Nous étions tous couchés, difficile de voir quoi que ce soit. J’ai seulement remarqué qu’il était posé sur un trépied et relié à une prise électrique. Les deux séances se sont succédées sans interruption. De quoi te souviens-tu ?
— Je t’avais accompagnée pour te faire plaisir, car je n’avais aucune envie de venir. Avant de rentrer dans la salle, j’étais déjà dans une sorte de négation, persuadé que tout cela n’était que pure affabulation. Donc pas très attentif. Quand nous nous sommes tous allongés, j’ai remonté la couverture que tu m’avais donnée, la bloquant sous mon menton. Je me préparais à prendre mon mal en patience. Je me souviens quand Aléna a débuté. Des vibrations très basses, un peu dérangeante au début au niveau du plexus solaire. Je ne m’attendais pas à ça.
—Oui, le sien vibre à 4 hertz. Comme tu le sais sûrement, notre gamme d’audition normale démarre à 20 hertz, mais en l’occurence ce ne sont pas les sons perçus par l’oreille qui sont importants, ce sont les ondes qui remuent chaque cellule de notre corps.
Effectivement, j’ai été étonné de l’impact que cela avait sur moi. Mon corps a frémi au point que mes dents ont commencé à claquer. J’ai fermé les yeux. Et à ce moment-là, j’ai eu un trou noir, un vide si tu veux, comme si je n’existais plus ici, mais ailleurs. Y-a-t-il eu un moment d’attente entre la fin du tambour d’Aléna et le début de l’autre séance ?
— Non, aucun, je te l’ai dit, l’autre personne a pris le relais tout de suite. Il n’y a pas eu le rappel d’usage pour faire revenir les personnes à leur état de conscience normal.
—C’est-à-dire ?
—Si certains sont dans des transes profondes et vivent une véritable histoire, ou bien sont en discussion avec quelqu’un, Alena bat le rappel en augmentant la cadence afin que l’on retrouve rapidement le chemin du retour. Comme la séance n’était pas finie, elle ne l’a pas fait.
—Alors, c’est après, quand l’autre tambour a pris le relais que les sensations sont devenues différentes. Le trou noir s’est soudain peuplé de lumières, comme si un voile avait été arraché pour dévoiler un autre monde. Et il y avait un bruit de fond, une résonance sourde et continue, un peu comme… ce que les astronomes appellent le bruit de fond de l’Univers, le son restant du Big-Bang. Des images ont commencé à défiler, d’abord floues puis de plus en plus nettes, comme des souvenirs lointains qui se reconnectaient lentement. Mon cerveau n’avait pas sa part dans ces apparitions. Il se contentait d’absorber, d’engranger sans comprendre. Ces images défilaient les unes après les autres, comme les pages d’un livre mystérieux qu’on feuilletterait très vite. Mais il y avait une cohérence dans toutes ces visions, c’était une histoire qui se déroulait. Je ne voulais pas que les visions s’arrêtent parce que j’avais le sentiment qu’elles étaient importantes et que je ne devais surtout pas oublier. Un peu comme si j’échangeais des idées, des fragments de vie, avec quelqu’un ou quelque chose, qui était là, quelque part.
—Tu crois que tes dessins sont issus de ce… téléchargement ? Cela pourrait être une explication.
Je ne sus que répondre. Si le tableau que j’avais commencé faisait parti d’un souvenir ancien, d’une vie que je ne reconnaissais pas, alors, je ne sais pas d’où il pouvait bien venir. Il était tellement peu… terrestre.
—Tu serais sorti de ton corps ?
— Comment savoir ? C’est nouveau pour moi ce type de voyage. J’arrive difficilement à trouver les bons mots pour t’expliquer ce que j’ai traversé.
—Est-ce qu’à un moment tu as eu l’impression de voler au-dessus de nous, de nous voir d’ un point situé en hauteur ?
— Non, je n’ai vu personne, mais je crois que j’étais très haut, en effet. J’étais ailleurs, bien au-delà de tout ce que je connaissais. Les illusions étaient si vives. Des voiles colorés, aussi fin que de la soie ondulaient autour de moi pareille à des aurores boréales. Et puis j’ai ressenti une présence étrangère, une force qui s’infiltrait et prenait possession de mon esprit. Ce n’était pas douloureux mais terriblement étrange, et j’éprouvai un grand soulagement, comme si une longue errance prenait fin. Et puis tu m’as secoué très fort… je me suis senti tiré vers le bas, ramené brutalement dans mon corps. Cela m’a donné un haut-le-coeur et je me suis assis, complètement désorienté.
—Oui je t’ai secoué, tu me faisais peur, complètement immobile, avec ta respiration beaucoup trop lente à mon goût. Je me suis tournée vers le groupe pour avoir de l’aide mais la plupart des personnes avaient un air hébété. L’une de nous a été vomir dans les toilettes, je te l’ai dit je crois. Quant à moi j’avais une forte pression derrière les paupières. Il m’a fallu au moins deux minutes pour te faire revenir à toi, en te claquant les joues et en t’appelant par ton prénom.
Aléna s’occupait de ses élèves et elle avait l’air très contrariée. L’autre femme… est venue directement vers nous et elle s’est accroupie. Tu as ouvert les yeux à ce moment-là. Je n’ai pas fait très attention à elle, mais je me souviens qu’elle portait une cape. Elle avait des cheveux très pâles qui me cachaient presque entièrement son visage.
—Mais ma vision était floue… je n‘arrivais pas à accommoder et je ne comprenais pas où j’étais. En fait, je n’ai aucun souvenir de ça. Je n’étais pas encore tout à fait conscient. Pourquoi est-elle venue auprès de nous, particulièrement ? … Tu viens de dire qu’elle s’était dirigée où nous nous trouvions.
—Je n’en sais trop rien, peut-être parce que tu avais été le seul à entrer dans une transe profonde. Elle s’est sûrement aperçu que tu étais anormalement long à revenir. Elle t’a demandé quelque chose comme: “ Savez-vous qui vous êtes ? ”. Tu tremblais et elle a glissé son poncho sur tes épaules. Elle a posé une autre question…
—Je n’en ai aucun souvenir, quelle question ?
—Et bien, quelque chose comme…
Marie se tapa la bouche de deux doigts en fronçant les sourcils.
—Quelque chose d’étrange comme… “ Je suis Kala et toi, lequel de nous trois es-tu ? ”
—Kala ?
—Oui, c’est bien le nom qu’elle a donné.
—Cela ne me dit rien !
—Elle commençait à me taper sur les nerfs, et puis comme tu ne répondais pas, elle est parti vers Alena, et il y a eu un peu de grabuge. Mais je n’avais pas le temps de voir ce qu’il se passait. Tu venais de mettre ta tête entre tes jambes. Quand j’ai pu tourné la tête vers Alena, elle était en train de la faire sortir de la salle en poussant tout son bazar dehors. Pour t’aider, j’ai commencé à te faire respirer avec moi en rythme. Quand des couleurs sont revenues sur tes joues, et que tu as pu te relever, nous sommes partis. J’ai seulement fait un signe en direction d’Alena. Tout le monde rangeait ses affaires, c’était un peu la débandade.
—Je ne me souviens pas du retour. Ma première vision consciente a été toi, penchée sur mon visage.
—Et tu ne m’a pas reconnue.
Au souvenir de ces premiers jours de complète amnésie, un frisson involontaire me saisit.
—Mais… tu trembles, s’écria Marie alarmée. Tu es tout blanc. Viens dans le lit.
Elle m’enveloppa dans le drap et ajusta la courtepointe, avant de se glisser contre moi. Je mis un certain temps à me réchauffer. Marie ne disait rien mais caressait mes cheveux d‘un geste apaisant. Que pouvait-elle penser à ce moment là de notre situation ? Depuis ma transformation, elle n'avait cessé de s'adapter, de chercher à comprendre, à m’accepter.
Je fermai les yeux et me laissai glisser vers le sommeil en contraignant mon cerveau à ne penser à rien, rien.
Dans le chapitre 4, Paul achève sa première œuvre, marquée par l’empreinte de son mystérieux éveil. Son lien avec Richard, ce vagabond si particulier, s’approfondit et dévoile de nouvelles facettes de leur amitié naissante. Mais une simple signature sur la toile pourrait-elle révéler des indices sur son identité profonde ? Découvrez la suite d’un récit entre quête artistique et rencontres humaines.
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