La tentation de Saint Antoine – Chapitre 1
[Roman] Paul se réveille, étranger dans son propre corps et son environnement. Une transformation mystique s'opère, mais quelles en sont les implications?
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La tentation de Saint Antoine
CHAPITRE 1
Dans ce premier chapitre de La Tentation de Saint Antoine, Paul se réveille désorienté, incapable de reconnaître son environnement ou même son propre reflet. Alors qu'il tente de comprendre ce qui lui est arrivé après une étrange séance de méditation, il doit se réapproprier son corps et sa vie familiale, tout en luttant contre un sentiment profond d’étrangeté. Des indices sur sa transformation commencent à émerger, mais un mystère encore plus grand l'entoure.
Je me sentais bien, les vibrations avaient agi, comme toujours. Je savourais à l’avance la découverte que nous allions faire lors de cette seconde visite. Mais rien ne se passa comme d’habitude. J’attendis, certainement comme les autres, que l’exploration commence, mais un puissant courant m’entraîna je ne sais vers où, à travers un magnifique chatoiement de couleurs. Bousculé je perdis la notion du temps, et traversai, désemparé, des panoramas inconnus et étranges. Impossible d’apprécier la durée de mon errance. Mais je ne pouvais pas continuer ainsi, au risque de perdre la vie; il me fallait mettre ma conscience à l’abri.
J’écarquillai les yeux et poussai un cri. A cet instant une forme se pencha vers moi. J’ouvris la bouche. De drôles de sons en sortirent, donnant à peu près ceci.
— Mais qui êtes-vous ?
Qu’est-ce que j’avais demandé demandé ! Je refermai mes paupières et tentai d’ordonner mes pensées. Mais elles étaient très confuses. J’avais cherché à me protéger, voilà le seul sentiment qui remontait à la surface. J’étais incapable de me rappeler de mon nom.
Etais-ce un rêve ou quelque chose de plus déroutant ?
Et quelle était cette barrière grise qui me surplombait occultant toute lumière naturelle, et cet être, dont le visage inconnu était penché sur moi.
— Mais…mais, ta femme, je suis ta femme, Marie !
Je voulus me lever mais je me sentais anormalement pesant. De plus, j’étais empêtré dans des tissus dont je me défis avec tant de nervosité que je finis par tomber sur un sol froid.
— Paul, mais qu’est-ce qu’il t’arrive ?
Je l’ignorais, je ne savais pas qui était Paul, qui était cette créature et où je me trouvais. Alors je gardai un silence prudent et me relevai avec peine. En face de moi se trouvait un miroir - enfin plus tard - j’appris ou me souvins du nom de cet objet.
Mon reflet me déstabilisa. J’examinai cet individu, nu, sans grâce, avec des bras trop gros et des jambes sans finesse. Je réprimai un cri consterné.
Durant le temps où je restai à contempler mon reflet Marie, puisque c’était ainsi qu’elle s’était nommée, s’était levée aussi.
Elle m’enveloppa d’un tissu doux.
— Il fait frais dans la chambre. Tu es malade ? Elle passa sa main sur mon étrange
visage et parut rassurée. Bon, parle moi, qu’est qu’il y a ? Tu étais bizarre hier au soir déjà, au retour de la séance de méditation. Il a fallu que je t’aide à monter dans la chambre et que je t’enlève tes vêtements. Je sais que tu n’étais pas trop chaud pour te joindre à moi, mais j’avais envie, pour une fois, de partager cette aventure avec toi. Tu es tellement toujours… rigide. Tu m’écoutes ? Bon je vais ranger un peu ce bazar.
Elle s’affaira autour de moi, ramassant ce qui traînait par terre, tout en continuant à parler. J’absorbais chacun de ses mots, tentant de comprendre leur sens.Chaque phrase était une énigme, un puzzle de sons et de significations à reconstituer.
Etais-ce cela la folie ? Je remuai la tête, souhaitant qu’elle continue à raconter les évènements. J’avais encore besoin d’un peu de temps pour me reprendre.
— …non bien sûr. Donc tu n’as pas vu une participante se précipiter dans les toilettes pour vomir, et les autres se tortiller sur le sol. Nous étions tous perturbés et personne n’a fait de voyage. A part toi je présume, tu étais si profondément assoupi que j’ai eu beaucoup de mal à te faire revenir. Cela ne te dis toujours rien ?
— Mmm…
— Non ? Bizarre ça tout de même. J’ai l’impression que tu es resté perché bien haut mon pauvre Paul. Cela va passer. Fais quelques respirations profondes et rejoins-moi en bas, pour déjeuner avec les enfants avant qu’ils ne partent en cours. Ah ! Oui, j’en profite pour te demander d’être un peu moins dur avec eux. Depuis quelques temps j’ai l’impression qu’ils se ferment dès que tu es là. Je crois qu’ils t’en veulent toujours. Cela me peine.
Je hochai la tête. Elle me jeta un regard circonspect et me laissa seul. Les informations étaient trop nombreuses, trop étranges, pour que je puisse les assembler. J’avais beaucoup de difficultés à faire un point précis de ma situation. Les minutes passèrent. Mon malaise s’apaisa un peu; je n’avais plus cette impression bizarre dans la tête, comme si une violente tempête avait secoué mon cerveau puis venait de se calmer.. Je me pinçai le bras très fort, au point de me faire mal. C’était bien réel. Petit à petit l‘étrangeté de mon environnement devint moins agressif. Pas vraiment familière cependant. Comme si je m’étais réveillé dans une maison étrangère. Que m’était-il arrivé la veille ? Étais-ce un coma ayant altéré mes facultés cognitives ? Je décidai de ne rien dire quant à mon désarroi et d‘agir au mieux de la situation.
Un plan émergeait, fragile mais nécessaire.
Je descendis.
Je fis donc connaissance avec mes enfants. Ulysse âgé de dix neuf ans, Eléonore d’un an plus jeune (ça je le compris plus tard). Ce premier matin je me concentrai sur leurs gestes et les imitai. Par contre les mots refusaient de sortir de ma bouche.
Finalement ils partirent rapidement tous les trois: Marie à notre Cabinet ( j’ignorais encore ce que c’était) et les enfants dans leurs lycées. J’étais enfin seul et soulagé de l’être, dans cet espace inconnu, tout en angles, où la lumière pénétrait par de hautes ouvertures. C’était une lumière blanche, sans joie, qui m’attristait. Exténué, je m’assis dans un large fauteuil près d’une fenêtre et me rendormis. Profondément.
Quand la lumière baissa j’ouvris les yeux. le monde m’apparut légèrement moins étranger, je me surpris à être capable de nommer quelques-uns des objets ornant la pièce. Fauteuil, fenêtre, étaient des mots que je ne connaissais pas quand Marie m’avait laissé.. Maintenant, si ; ce qui est plus aisé pour vous raconter mon histoire, bien entendu.
Les jours s’écoulèrent dans une brume d’incertitude. Du temps passa. J’étais toujours plus ou moins englué dans mon apathie, ma pesanteur; je ne me déplaçais pas avec aisance. Cet état ne pouvait pas durer et je décidai de me reprendre en main. D’après ce que j’avais compris de Paul, il n’était pas un personnage à se complaire dans l’inaction. J’avais trouvé dans le garage, à l’abri sous une bâche, un vélo d’appartement, des haltères et divers instruments d’entretien du corps. Preuve que Paul était attentif à sa forme physique. Réapproprier ce corps étranger me semblait essentiel. En peu de jours j’arrivai enfin à me mouvoir avec plus de souplesse. Depuis que j’avais repris les exercices physiques, Marie me regardait différemment et cela… m’émoustillait agréablement.
Chaque jour, des mots remontaient du fin fond de ma mémoire. Désormais je pouvais converser normalement. Marie préféra quand même que je voie le médecin de famille. Les mots du diagnostic sonnaient creux, comme des étiquettes mal appliquées. Surmenage, dépression, bi-polarité: trois semaines de repos, cela fut plié en cinq minutes.
— Bi-polaire ? dis-je à Marie une fois revenus à la maison.
— Changement brutal d’humeur, de gai, excentrique à triste et dépressif. Je pense qu’il exagère mais c’est ton petit air triste. Il n’a pas l’habitude de te voir ainsi.
De fait, comme un enfant ayant perdu ses repères j’éprouvais un grand désir d’être réconforté. Alors je passai du temps avec ma famille. Mes enfants paraissaient inquiets pour moi, Marie me prenait souvent dans ses bras. Chacun d’eux ne me parlaient que des moments drôles de leur quotidien. J’emmagasinais ainsi une quantité d’informations. Leurs récits, cependant, me semblaient parfois étrangers, comme venus d’un monde que je n’arrivais pas à saisir pleinement. Je me permettais, parfois, de leur donner des conseils. Je rappelais l’importance d’éprouver de l’empathie pour les autres, de ne jamais se moquer, mais au contraire d’entraider ceux qui semblaient perdus. Propos auxquels ils réagissaient avec un évident étonnement.
En plus du sport je m’étais attaqué à la lecture. Je plongeais dans des livres comme on plonge dans un océan, cherchant à m’immerger totalement pour retrouver ma propre profondeur. J’avais besoin d’enrichir mon vocabulaire. Et si certains termes n’avaient pas de sens, je cherchai dans le dictionnaire. Chaque mot redécouvert était une petite victoire. J’avais envie de retrouver une vie normale et de ne plus être un poids pour Marie. Mais voilà, ma vie normale ne cadrait plus avec qui j’étais maintenant.
Je me sentais incapable de retourner à ce travail que nous avions en commun Marie et moi. Un grand cabinet de comptables. Elle m’y avait amené. Une dizaine de personnes m’avaient accueillies avec chaleur. J’avais souri, serré des mains. Mais cet endroit me faisait l’effet d’un tombeau. Il agissait sur moi comme un repoussoir. Sombre, austère, sans perspective sur l’extérieur. Comment avais-je pu m’y complaire ? Je sortis rapidement respirer de l’air frais.
— Je peux gérer toute seule, dit-elle d’emblée en me rejoignant. Tu avais l’air tellement déboussolé là-dedans. Nous allons attendre encore un peu, d’accord ?
— Tu as le chic pour trouver le bon mot. Déboussolé…
— Et d’ailleurs, j’aime bien ton nouveau toi, les enfants aussi. J’ignore ce que tu as vécu durant cette séance, mais cela t’as transformé. Je voulais te le dire. Alors prend ton temps.
Je la gratifiai d’un grand sourire et serrai sa main dans la mienne. Un lien fragile mais réel s’était formé entre nous, comme une bouée dans l’océan de mon incertitude.
Chaque jour, après ma séance de sport, je sortais et marchais longtemps, toujours dans le même sens afin de ne pas me perdre. C’est ainsi que je croisai de nombreuses personnes sur les trottoirs de la ville. L’humanité me semblait étrange, diverse et pourtant…uniformément lourde. Tous différents : grands, gros, petits, jeunes ou vieux, agréables à regarder ou non. Mais pendant longtemps je restai surpris de la taille des humains. Pourquoi ? Je ne savais pas l’expliquer, c’était une sensation fugace, presque un reproche que je leur faisais. Il me semblait qu’ils manquaient de grâce aérienne. Quelque chose d’insaisissable manquait , quelque chose d’essentiel. Et pourtant, j’étais aussi un humain, n’est-ce pas ? Et plutôt grand d’ailleurs.
Beaucoup de questions me passaient par la tête et la plus importante à mes yeux était : avais-je été un compagnon agréable pour Marie ? Pas tout à fait d’après ce qu’elle m’avait dit. J’avais très envie de me rattraper.
Ces promenades et ces rencontres m’avaient également fait prendre conscience de la beauté de ma femme. Elle était mince, avec de longs cheveux noirs, des yeux d’un vert lumineux dans un petit visage étroit. Son sourire était étincelant. Et nos deux enfants promettaient de devenir de beaux êtres. Je m’étais rendu compte également que les femmes se retournaient souvent sur moi. Une contradiction que je n’arrivais pas à résoudre : comment les gens me voyaient-t-ils alors que ma première confrontation avec mon reflet m’avait tellement affligé. Si mon caractère avait changé mon physique était resté le même. Pourquoi n’avais-je pas pu me reconnaître dans ce corps? Un casse-tête que j’aimerais bien démêler.
Les premières semaines, sentant que j’avais besoin d’être seul, Marie avait apprêté le canapé convertible de mon bureau. La pièce se trouvait au dernier étage, elle était lumineuse et vaste. Outre les deux grandes fenêtres de façade, la lumière entrait à flot par l’ouverture vitrée du toit. Et si cette lueur fade me paraissait insolite, j’appréciais de baigner mon visage dans ses rayons.
Une belle bibliothèque occupait un pan de mur entier. J’avais ouvert tous les ouvrages, commencé à les lire pour les abandonner rapidement. Seuls la dizaine de recueils consacrés à l’art avaient retenus mon attention. Je m’étais perdu dans la contemplation de tableaux fabuleux, j’avais voyagé à l’intérieur à la recherche de quelque chose, perdu depuis mon réveil. La série des peupliers de Monnet m’avait particulièrement attiré. Ces troncs fins, longilignes, alignés en rangs ou solitaires, montant à l’assaut du ciel avaient remué quelque chose en moi. Où avais-
je vu des formes aussi élancées, gracieuses ? Je ne pouvais le dire mais c’était là, tapi dans mon cerveau.
Dès le début de cette exploration artistique j’avais commencé à crayonner de façon tout à fait machinale. Ma main courrait sur le papier. Avais-je oublié un pan de ma vie où la peinture avait occupée une place importante ? Le soir même j’avais posé la question à Marie. Elle s’était mise à rire, sans méchanceté.
— Mais mon pauvre Paul, je ne t’ai jamais vu dessiner, tu ne vas pas visiter les galeries d’art… Oh, pardon, j’ai été un peu directe.
Elle m’enlaça. Mes bras l’enserrèrent aussitôt. Ma tête reposait sur ses cheveux. Je passai l’une de mes main dans cette toison lisse et odorante. Son parfum me rappelait quelque chose, une mémoire sensorielle enfouie. C’était notre premier contact étroit, je n’avais pas envie de rompre cet instant.
— J’aimerais bien que tu reviennes dormir avec moi, dit-elle en me prenant le visage entre ses mains.
C’est ainsi que ce soir-là je retrouvai les gestes d’une intimité aussi parfaite que révélatrice de l’amour que l’on se portait l’un à l’autre. Alors qu’elle s’était endormie, les peupliers revinrent défiler sous mes paupières closes. Mes mains fourmillaient d’une sorte d’impatience. Il me fallait savoir pourquoi, aussi je pris une résolution qui allait tout accélérer.
Dans le chapitre 2, Paul commence un nouveau projet artistique qui réveillera des souvenirs enfouis et l'entraînera dans une quête mystique de son identité. Que cache cet étrange tableau de Dali qui fait remonter en lui d'anciennes réminiscences, et quel secret se dissimule derrière la vision énigmatique d'une femme mystérieuse ? Découvrez comment la peinture devient un pont vers l'inconnu…
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